« À force d’affronter des équipes moins fortes… »
A l’occasion de la Coupe du Monde FIFA 2022, nous avons lu cet entretien dans le quotidien français « L’équipe » n°24 936 du lundi 21 novembre 2022. Il nous a semblé intéressant à partager afin de mieux rechercher les raisons des résultats des équipes africaines en Coupe du Monde alors qu’elles disposent en leur sein de joueurs de grands talents. Son auteur, Matthew Andrews, est professeur à Harvard, spécialisé dans la croissance économique, fan de football et auteur d’une étude sur le foot africain dans laquelle il a réfléchi sur le manque de résultats des sélections nationales africaines sur la scène mondiale et il tente d’en expliquer les raisons. « Expliquez-nous votre démarche. Quand Pelé a dit qu’une équipe africaine allait gagner la Coupe du monde, la question, c’est : “A-t-il eu vraiment tort ?” Beaucoup de gens pensent que c’est à cause de l’équipe que vous gagnez. Mais c’est aussi un problème d’histoire, de “technologie”, comme je l’appelle. Comment vous vous entraînez, vous organisez, quels sont vos moyens de transport, votre centre d’entraînement, la psychologie du groupe, le médical. Pour gagner une Coupe du monde, vous devez théoriquement gagner au moins 5 matches sur 7. Et battre quatre équipes du top 20. Les équipes africaines peuvent en gagner un, deux, voire trois mais pas cinq. C’est un constat fondé sur des statistiques des matches ? Oui, regardez le Nigeria, un pays immense avec des athlètes incroyables mais qui semblent heureux de battre les équipes africaines. Ils ne jouent pas face à la France, l’Argentine, le Brésil… À force d’affronter des équipes moins fortes, vous ne progressez pas. Au Qatar, l’équipe la plus prometteuse est le Sénégal, avec des joueurs de talent et Aliou Cissé qui a été partie prenante de la victoire contre la France en 2002 (1-0). C’est capital d’avoir des gens qui ont vécu des moments clés de l’intérieur, comme Cissé, car ils pensent différemment. À Harvard, on parle de la croissance économique comme d’un jeu de Scrabble. On a des lettres et on a besoin de mettre en place des mots qui rapportent des points. En Afrique, il y a beaucoup de talents, donc beaucoup de lettres, mais elles ne créent pas des mots. Une équipe africaine peut-elle quand même s’imposer ? J’aimerais et elle le pourrait dans l’absolu. Mais il faut changer de stratégie. Au Qatar, l’Argentine, l’Angleterre, le Brésil, la Belgique, la France sont trop professionnelles, trop fortes, se jouent tout le temps. Pas sûr que le Sénégal puisse battre le Brésil et l’Angleterre en trois semaines… Que faire pour changer la donne ? Si j’étais le Sénégal, je jouerais avec une équipe B lors des CAN tous les deux ans et mon équipe A jouerait contre des équipes d’Europe, d’Amérique du Sud et d’Asie. Mais il n’y a plus de dates libres. C’est vrai, donc la FIFA et les associations continentales ont tué les équipes africaines. Ce système d’une CAN tous les deux ans est parfait pour le Bénin ou les Comores: ils vont progresser en rencontrant le Nigeria. Mais les équipes moyennes restent moyennes. C’est une théorie économique connue sous le nom de piège du revenu intermédiaire. Où en est, à vos yeux, le foot africain ? Au milieu du lot comme la Grèce, la Turquie. La “technologie”, c’est la clé. Les joueurs africains apprennent en Europe en tant qu’individus, mais l’important, c’est de l’apprendre en tant qu’équipe. L’Afrique est tributaire de son organisation. C’est ce qui l’empêche d’aller plus haut. » Les techniciens le savent tous, c’est en disputant des matchs contre des équipes plus fortes que soi que l’on progresse. A notre niveau, nous savons que les matchs de Coupe d’Afrique ou les tournées internationales de nos jeunes joueurs sont indispensables pour mesurer leur véritable niveau et celui de nos équipes et ainsi leur permettre de progresser. Cela n’augure en rien des résultats des équipes africaines (ou asiatiques d’ailleurs) lors de cette Coupe du Monde (Cf la victoire de l’Arabie Saoudite (2-1) face à l’ogre argentin lors de la 1ère journée du groupe C), mais c’est une piste de réflexion à creuser pour l’avenir afin de changer la donne ! Benoît YOU