L’œuf ou la poule ?
Alors que l’actualité du monde du football en Côte d’Ivoire est plutôt calme en cette intersaison, je vous propose de revenir sur certaines informations éclairantes sur les réalités actuelles du football en Côte d’Ivoire et dans le monde.
Nous savons que les droits de diffusion des compétitions sportives sont devenus une manne importante des revenus pour les clubs de football mais aussi pour les fédérations et les confédérations sportives en général. Ceux-ci n’ont cessé de croître depuis 20 ans jusqu’à atteindre des sommets, notamment en Angleterre ou pour des compétitions comme la Coupe du Monde de la FIFA. En Côte d’Ivoire, le groupe Canal + a acquis les droits de diffusion télévisuels du championnat national de Football depuis quelques années.
On observe plusieurs évolutions récentes dans ce secteur comme l’augmentation du nombre d’acteurs, ne se réduisant plus seulement aux seules chaînes de télévision traditionnelles, avec l’arrivée de plateformes numériques et digitales comme Amazon, Facebook ou d’autres. Dans le même temps, certaines compétitions commencent à avoir des difficultés à trouver des preneurs comme le championnat national de football français qui reste sans diffuseur pour la Ligue 1 à quelques semaines de son démarrage.
Puisque le championnat tanzanien semble être le nouvel eldorado qui attire de plus en plus de joueurs ivoiriens et ouest-africains, à défaut de pouvoir s’exiler dans des championnats européens, il est intéressant de relier l’émergence de cette compétition nationale et de certains de ses clubs avec celle des droits TV dans ce pays. En effet, nous apprenions en 2021 l’acquisition des droits de diffusion de la Ligi Kuu Bara par le groupe télévisuel tanzanien AZAM pour une décennie à hauteur de 97 millions de $, soit près de 60 Milliards de FCFA pour la période, ce qui représente l’équivalent de 6 Milliards FCFA par saison. Une grande partie de cette somme est reversée aux clubs qui reçoivent dès lors plusieurs centaines de millions de FCFA par saison, en fonction de leur classement final.
Avec de tels revenus comparés à ceux de nos compétitions et donc de nos clubs, la capacité des clubs tanzaniens à recruter en masse dans les pays d’Afrique de l’Ouest s’explique assez facilement et pas seulement pour leurs deux clubs phares. Cependant, il est utile de s’interroger sur ce qui a rendu possible la signature d’un tel contrat dans un pays où les joueurs n’ont pas les qualités des nôtres et dans lequel l’équipe nationale n’a jamais brillé par ses performances.
Est-ce la qualité du championnat qui a entraîné un diffuseur à proposer une telle somme ou à l’inverse, est-ce le diffuseur qui, en mettant autant de fonds à disposition de la Ligue et des clubs, a permis à ces clubs de grandir ? Nous voici revenus à l’un des plus anciens paradoxes de la poule et de l’œuf. Lequel des deux est apparu en premier ?
Il apparait évident que, dans le cas présenté, l’effort du diffuseur est à l’origine du développement de cette Ligue et de certains de ces clubs sur le plan continental, en créant les conditions pour les rendre compétitifs face aux autres clubs africains, sans avoir à se séparer de leurs meilleurs joueurs pour pouvoir financer leur développement. Si, pour l’instant, leurs résultats en Coupe d’Afrique de clubs ne sont pas meilleurs que ceux de notre club jaune et noir (aucune Ligue des Champions ou Coupe de la Confédération remportées malgré les milliards investis), il est probable que cela pourra porter ses fruits sur la durée.
A défaut de disposer de grands joueurs nationaux, il est indéniable qu’une véritable stratégie de développement du football local a été mise en place par les dirigeants du football avec le concours d’acteurs privés. L’avenir nous dira si cette stratégie était la bonne mais on ne pourra ôter le mérite à ces dirigeants d’avoir tenté quelque chose pour sortir de la situation peu glorieuse dans laquelle le football de ce pays se trouvait.
Benoît YOU